Le béton de chanvre au cœur de la réhabilitation d’un monument historique !
La brasserie Fischer s’était installée à Schiltigheim (67) en 1860. Le site, vestige de l’activité brassicole de la ville, est aujourd’hui en pleine transformation avec la création d’un nouveau lieu de vie dédié aux enfants.
La reconversion de ce patrimoine chargé d’histoire et la construction du groupe scolaire Simone Veil ont été confiés à l’agence toa architectes associés.
Dans ce projet de renouvellement urbain, les bâtiments classés monuments historiques ont été préservés notamment la Maison Gruber, bâtiment traditionnel alsacien datant de 1884.
Rencontre avec Loïc Lacroix, architecte chez TOA, en charge du projet de reconversion de ce bâtiment classé monument historique
Q : A la fois témoin de l’activité brassicole de la ville et reflet de l’architecture traditionnelle alsacienne, la Maison Gruber fait partie du patrimoine de Schiltigheim.
Sa rénovation vous oblige-t-elle à utiliser des matériaux spécifiques, naturels ou ancestraux ?
Loïc Lacroix : « Le choix de recourir à des matériaux ancestraux comme le chanvre et la chaux émane de l’agence TOA. Notre parti-pris en tant qu’architectes, pour faire revivre ce bâtiment historique, était de proposer à la maîtrise d’ouvrage l’utilisation de matériaux biosourcés qui soient en adéquation avec l’époque de construction de cet édifice, afin de pleinement respecter les propriétés des murs en briques de terre cuite, et optimiser leur conservation.
La reconversion de la Maison Gruber nous donne l’opportunité d’expérimenter le béton de chanvre qui est un isolant particulièrement vertueux sur l’ensemble de son cycle de vie. Nous avons opté pour cette solution dans le cadre de la rénovation d’un bâtiment classé monument historique mais son utilisation est toute aussi pertinente pour des constructions neuves.
Ce matériau sain et naturel répond pleinement aux nouveaux enjeux environnementaux et aux exigences écologiques de ce chantier. Le chanvre est un précieux allié dans une démarche bas carbone. Il offre aujourd’hui une solution innovante et efficiente pour solutionner le problème de l’amélioration thermique du bâti ancien.
Pour la Maison Gruber, afin d’obtenir les performances hygrothermiques souhaitées, 15 cm de béton de chanvre sont appliqués sur les murs intérieurs. »
Q : Pourquoi avoir fait le choix du béton de chanvre ?
Loïc Lacroix : « Cette démarche est motivée par les qualités exceptionnelles de ce matériau.
Fait à partir de chènevotte de chanvre (tige de chanvre), mélangée à de la chaux aérienne et à de l’eau, la solution « chanvre et chaux » est un très bon isolant aux qualités hygrothermiques remarquables.
Sa capacité à réguler l’hygrométrie est particulièrement intéressante pour des bâtiments anciens en briques de terre cuite, en terre ou en pierre, car cela permet de laisser les murs respirer et de réguler leur humidité.
L’importante inertie du béton de chanvre permet également d’écrêter les températures des pièces intérieures et de supprimer l’effet « murs froids » ce qui offre un vrai confort de vie avec une température constante, fraiche et agréable.
Le béton chanvre est aussi un très bon absorbant acoustique et ce dernier n’émet pas de COV (Composants Organiques Volatiles) ce qui est un véritable atout d’un point de vue sanitaire.
Peu consommateur en énergie grise et reconnu pour sa résistance au feu, sa durée de vie est d’environ 100 ans.
Utiliser le béton de chanvre pour la rénovation, la réhabilitation ou la transformation de bâtiments traditionnels et historiques prend donc tout son sens. Opter pour ce matériau biosourcé permet de respecter le bâti ancien et évite l’ajout de matériaux pouvant contenir des substances chimiques potentiellement nocives et in fine mal adaptées à des murs construits il y a plus de 100 ans. »
Q : Est-ce que cela implique de revoir les habitudes ou les pratiques de chantier ?
Loïc Lacroix : « Travailler avec des matériaux ancestraux demande une connaissance des techniques traditionnelles de préparation et de mise en oeuvre.
Le chanvre est un matériau vivant. La chènevotte de chanvre peut absorber 4 à 5 fois son poids en eau et la majeure partie de cette absorption a lieu en moins d’une minute.
La préparation du béton de chanvre, qui se fait sur le chantier, nécessite donc une bonne compréhension des propriétés physiques et mécaniques du matériau. En fonction du support, de la météo, de l’exposition des murs, la quantité d’eau et de chaux mélangée au chanvre peut varier.
Pour l’isolation intérieure de la Maison Gruber, comme les vieux murs en briques étaient bourrés d’aspérités, nous avons tout d’abord projeté un gobetis d’accrochage qui permet à l’isolant d’être en contact continu avec le mur car il adhère à la surface et s’adapte à tous les reliefs existants. Puis nous avons projeté le béton de chanvre sur une épaisseur de 15 cm, avant de tout égaliser à la règle pour un rendu avant décoffrage bien homogène.
La prochaine étape, qui aura lieu une fois que le béton de chanvre aura séché, consistera à passer un enduit traditionnel à la chaux comme couche de finition pour donner aux murs intérieurs un aspect très lisse.
Utiliser des matériaux anciens avec des temps de séchage pouvant être de plusieurs mois, en l’occurrence de 10 semaines (2 mois) pour ce chantier, implique d’accepter des délais plus longs et impose une gestion différente du temps. Tout doit avoir été anticipé, notamment l’installation en amont des réseaux (eau, électricité) car une fois le béton de chanvre appliqué il n’est plus possible de faire des saignées dans les murs. »
Q : L’utilisation du béton de chanvre est une première à Schiltigheim. Le chanvre commence à être plébiscité dans l’architecture. Va-t-il permettre d’ouvrir le champ du circuit court et du local ?
Loïc Lacroix : « Le chanvre fait partie intégrante de notre histoire. Sa culture est à nouveau très développée en France, notamment en Champagne Ardenne où le chanvre a fait son retour il y a quelques années. Cela ouvre en effet des horizons nouveaux en rendant possible la mise en place d’une démarche locale pour le sourcing de ces matériaux biosourcés.
N’oublions pas, de plus, que la culture du chanvre est peu consommatrice d’eau, elle ne nécessite pas l’utilisation de pesticides (intrants chimiques) et permet de stocker le carbone. Un hectare de culture de chanvre va stocker 15 tonnes de CO2 quand un hectare de maïs n’en stockera que 2,2 tonnes.
Sa fin de vie est tout aussi respectueuse de l’environnement que sa culture, sa transformation et sa mise en oeuvre. Après utilisation le béton de chanvre est recyclable dès lors que la chènevotte de chanvre a uniquement été mélangée à de la chaux et à de l’eau.
Sur le chantier de Schiltigheim, tous les résidus de béton de chanvre sont récupérés et vont avoir une seconde vie. Notre partenaire ECO SPHERE HABITAT les collecte pour qu’ils soient réutilisés sur d’autres chantiers afin, par exemple, d’isoler des parquets.
Ouvrir le champ des possibles en recourant à des matériaux sourcés localement qui soient respectueux de l’environnement fait bien sûr sens et répond aux aspirations nouvelles des collectivités locales qui s’engagent à construire bas carbone et de leurs habitants en quête de sens.
La profonde mutation que connaît actuellement notre société va permettre de faire bouger les lignes. Nous sommes convaincus chez TOA que cette prise de conscience des citoyens, qui se traduit par une volonté de se reconnecter à la nature et à la terre, par une sensibilité accrue aux enjeux sociaux et environnementaux, va accélérer la transition vers une architecture durable et amener à redécouvrir et privilégier des matériaux naturels voire ancestraux, comme la terre crue, la chaux, le chanvre et bien sûr le bois. »
L’équipe de rédaction de ArchitectureTerreBois.fr
QUELQUES IMAGES EN DIRECT DU CHANTIER …
Vidéos prises sur le chantier de réhabilitation de la Maison Gruber à Schiltigheim (67)
Vidéos de certaines étapes clés de la mise en œuvre de l’isolation intérieure « chanvre-chaux » avant décoffrage :
1 : Projection du gobetis d’accrochage
2 : Projection du béton de chanvre / épaisseur de 15 cm sur les murs intérieurs
3 : Égalisation à la règle