15 Oct, 2018

Construction en terre crue à Nanterre : un chantier pionnier aux portes de Paris !

Rencontre avec Martin POINTET, expert de la construction en terre crue

 

Vous êtes spécialisé depuis 20 ans dans la construction d’habitations et de bâtiments en terre crue. Qu’est-ce qui vous plait dans ce chantier de Nanterre ?

Martin Pointet : « C’est un chantier pionnier ! Construire un bâtiment accueillant du public en utilisant la terre crue en Ile-de-France c’est une première !
De plus, nous parlons de la construction d’un groupe scolaire de taille importante avec 1300 m2 de murs en pisé ce qui représente un défi vraiment intéressant.
Avec ce chantier, nous changeons d’échelle et par la même, nous contribuons à faire changer le regard sur la terre crue. Un tel chantier situé en région parisienne va forcément avoir une résonance importante et devrait contribuer à inciter le plus grand nombre à reconsidérer ce matériau aux multiples qualités ».

 

 

Depuis de nombreuses années, le béton est le matériau privilégié dans toutes les constructions de bâtiments accueillant du public. Pour la construction du groupe scolaire Miriam Makeba les architectes (toa architectes associés) ont fait un choix novateur, celui de la terre crue. Quels sont les avantages de la terre crue ? Pourquoi utiliser ce matériau ?


Martin Pointet :
« La terre crue est un matériau naturel qui présente de nombreux avantages :

– Le premier est qu’il favorise le confort intérieur. La terre crue a une grande capacité à réguler l’hygrothermie (régulation hygrométrique et thermique). En absorbant les pics d’humidité et de chaleur, elle apporte un vrai confort de vie. Sa forte inertie thermique permet d’avoir frais dans une pièce même si la température extérieure est très élevée car elle capte la chaleur le jour quand il fait très chaud et la restitue la nuit quand il fait plus froid. Par contre, le pisé n’est pas un isolant. Placé au sud et bénéficiant pleinement des apports solaires, un mur en terre crue stocke la chaleur pour la restituer à l’intérieur. Sur les autres façades le pisé doit être légèrement isolé.

– Le second avantage est écologique. La terre crue présente un bilan carbone très faible. Ne nécessitant pas de cuisson, peu d’énergie grise est nécessaire à sa transformation.
Elle est par ailleurs, facilement réversible donc recyclable à l’infini. Que la terre crue ait 100 ans ou 1000 ans on peut la réutiliser pour une nouvelle construction. Si elle n’est pas polluée, ses qualités ne se dégradent pas. Et, ne l’oublions pas, elle est disponible en abondance, sous nos pieds. Il est donc possible de travailler en circuit court ce qui réduit également l’impact environnemental.

– D’un point de vue esthétique, je trouve que la terre crue a une belle matérialité, un aspect brut sur lequel peut se lire l’œuvre de l’homme. Quelle que soit la technique de mise en œuvre choisie (Adobe, pisé …) la terre crue a de ce fait une vraie pertinence en intérieur. Ce matériau permet non seulement de « porter » une structure (murs porteurs) mais il peut aussi décorer une pièce, lui donner un aspect design.

– Enfin d’un point de vue sanitaire, la terre crue représente une vraie alternative aux matériaux de construction actuels. La problématique aujourd’hui est la pollution de l’air intérieur. Or la terre crue étant un matériau sain, son utilisation permet de réduire fortement cette pollution intérieure puisqu’elle n’émet pas de COV (composants organiques volatiles) donc de substances toxiques.

Pour toutes ces raisons, construire en terre crue a vraiment du sens, qui plus est pour un bâtiment accueillant un jeune public, ce qui sera le cas du groupe scolaire de Nanterre. »


Quelles sont les différentes techniques de mise en œuvre de la terre crue ?

Martin Pointet : « Les techniques traditionnelles sont la bauge, le pisé et l’adobe, toutes trois utilisées pour monter des murs porteurs. Selon les régions et les époques, le torchis est utilisé pour le remplissage des cloisons ou des structures pan de bois.
La terre coulée quant à elle est une technique nouvelle qui s’apparente au béton coulé.

Chaque technique a ses particularités que ce soit l’état hydrique et les caractéristiques de la terre utilisée ou la façon de la mettre en œuvre :

  • La bauge est une technique plutôt rurale. La terre utilisée pour sa mise en œuvre est collante, limoneuse, généralement mélangée à des fibres végétales.
  • Le pisé utilise une terre argilo graveleuse, sans fibre végétale. La mise en œuvre nécessite un coffrage et le montage du mur se fait par tassement de la terre en couches successives à l’aide d’un outil pneumatique.
  • L’adobe est une brique de terre crue. Il s’agit de briques de terre qui ont été séchées à l’air sans avoir été cuites dans un four. Elles sont traditionnellement moulées à la main dans un moule en bois puis séchées à température ambiante.
  • La terre coulée est assez proche du béton de ciment. La terre est coulée dans un coffrage, à un état visqueux, puis vibrée pour chasser l’air.

Quelle que soit la technique utilisée, ce qui fait la beauté du rendu, la belle matérialité d’un mur en terre crue, c’est non seulement la qualité du matériau mais aussi la qualité de sa mise en œuvre. »

 

Quel est le principal ennemi de la terre crue ?

Martin Pointet : « Le principal ennemi est la concentration d’eau. Contrairement aux aprioris, un mur en terre crue supporte très bien les assauts de la pluie et des intempéries. En revanche la concentration d’eau peut entrainer des pathologies sur le bâti. Il est donc impératif de protéger la tête de mur et les pieds. C’est une problématique à laquelle nous avons été confrontés sur le chantier de Nanterre puisque nous avons abordé l’hiver sans que le chantier soit « hors d’eau ». Les murs montés en pisé ont été protégés par des petites couvertines et ont traversé l’hiver sans être trop affectés. »

 

Si nous devions nous projeter dans l’avenir. Comment voyez-vous le retour de la terre crue dans l’architecture urbaine ?

Martin Pointet : « La bonne nouvelle c’est que les choses bougent. Des grands chantiers se profilent à l’horizon. La terre crue peut sembler être un matériau de construction plus fragile que le béton armé (le béton armé est quant à lui « surdimensionné par rapport à la résistance/robustesse nécessaire pour des ouvrages standards ») mais elle est en réalité beaucoup plus durable. Espérons que des chantiers comme celui de l’école de Nanterre permettent de faire des émules et de remettre au goût du jour ce matériau naturel, esthétique, écologique et sain, en le positionnant parmi les matériaux de construction à plébisciter pour leurs vertus environnementales. »

 

Propos recueillis par l’équipe de Rédaction pour toa architectes associés

 

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